Le « monde » du comportement du chien en France : quelle évolution en 20 ans ?
(article paru dans le 1er numéro du magazine « Tout chien » de juin 2016)
En 20 ans, il y a eu une grande évolution dans le monde du comportement du chien.
Dans les années 90, il y avait essentiellement des dresseurs et des éducateurs de chien qui étaient les seuls interlocuteurs concernant le comportement du chien. Éducation de base comme on dit mais aussi éducation en cas de troubles du comportement. Les vétérinaires avaient alors essentiellement deux rôles : la castration réputée « calmer » le chien et l’euthanasie quand l’éducation et la castration n’avaient pas suffit à améliorer son comportement.
Côté vétérinaire…
• Les premières consultations vétérinaires de comportement sont nées à l’école Vétérinaire de Lyon en 1986. Patrick Pageat vétérinaire et docteur en éthologie avait mis en place ces consultations spécialisées dans le but de soigner les troubles du comportement autrement et de diminuer les décisions d’euthanasie pour cause de comportement. Alliant les données de l’éthologie, de la médecine et des neurosciences qui naissaient à peine à l’époque, il a élaboré une nouvelle manière d’aborder les troubles du comportement en considérant qu’un trouble du comportement peut être considéré comme un signe de souffrance, le symptôme d’une affection comportementale.
La consultation de comportement fondée sur l’observation en direct du chien et sur un entretien précis avec les personnes vivant avec le chien permet d’établir un diagnostic, donc de proposer un pronostic et un traitement. Le traitement dont il s’agit est alors constituée de mesures comportementales et éventuellement de la prescription de produits (médicamenteux ou non).
• Dans les années 90, plusieurs vétérinaires dont je fais partie se sont formés ainsi « sur le tas », en suivant régulièrement les consultations de comportement de Patrick Pageat et en participant aux congrès organisés par ce groupe de vétérinaires passionnés.
• En 1998, nait le diplôme inter-écoles (DIE) de vétérinaire comportementalistes qui formera pendant plus de 15 ans près de 200 vétérinaire comportementalistes en Europe.
• Je me souviens que dans les années 90 les motifs de plaintes des propriétaires étaient les mêmes qu’aujourd’hui : en premier lieu l’agressivité, puis les problèmes de solitude (vocalises, destructions, malpropreté en l’absence du maître), enfin les problèmes de malpropreté, de peurs, d’éducation…. Toutefois, les deux principaux diagnostics portés à cette époque – c’est-à-dire les affections en cause – étaient surtout la sociopathie (trouble de la hiérarchie : le chien se prend pour le dominant) et l’anxiété de séparation (le chien n’a pas appris à être seul, donc il est anxieux quand il l’est).
• Progressivement, la sémiologie (étude des symptômes) a évolué et d’autres affections ont été identifiées comme pouvant induire les mêmes troubles du comportement (agressivité, anxiété de solitude, malpropreté, peurs…). C’est par exemple le cas des troubles du développement, comme le syndrome hypersensiblité-hyperactivité (ou Hs-Ha) lié à une insuffisance de maternage avant l’âge de 2 mois, ou le syndrome de privation sensorielle liée à une insuffisance de stimulations environnementales avant l’âge de trois mois.
• Sur le plan médical, les maladies neurologiques (tumeurs cérébrales, épilepsie, syndrome confusionnel) ont toujours été prises en compte dans l’apparition de troubles du comportement, mais l’influence de la douleur et des maladies hormonales (l’hypothyroïdie) a été plus souvent avancée.
• Parallèlement, sur le plan législatif, la Loi sur les chiens dangereux du 6 janvier 1999 a provoqué des réactions variées dans le monde du chien. La question fondamentale sur l’influence de la race, plus précisément de la génétique, sur l’agressivité a été maintes fois soulevée. Cette loi était elle fondée ? Y a-t-il effectivement des races plus dangereuses que d’autres ? Ne s’agissait-il pas en réalité d’une mesure politique sociétale pour résoudre un problème de banlieue ? Le fait qu’en 2008, une évaluation comportementale devenait obligatoire pour les chiens mordeurs quelle que soit leur race a permis d’apaiser le débat. L’enregistrement de tous les rapports d’évaluation comportementale dans le fichier national de l’I-CAD[1] contribue à constituer un observatoire des morsures, donc d’avoir des chiffres pour pouvoir répondre plus sérieusement un jour à la question de la dangerosité d’une race.
• Depuis le début des années 2010, ont émergé d’autres formations vétérinaires en médecine du comportement des animaux. Le DU de zoopsychiatrie vétérinaire d’une part à Lyon et le CEAV de médecine du comportement des animaux à Maisons Alfort.
Aujourd’hui, tout praticien vétérinaire a les moyens suffisants (formations, ouvrages, confrères spécialisés) pour répondre à la demande de tout client dont le chien présente un trouble du comportement.
Côté éducateurs…
• Dans le monde de l’éducation canine, le regard porté sur le comportement du chien a aussi beaucoup changé en 20 ans.
• En effet, il y a 20 ans, la grande majorité des éducateurs et des dresseurs ne pratiquaient que selon des méthodes essentiellement coercitives (collier étrangleurs, contraintes physiques parfois maltraitantes) et avec une politique de domination du chien, en partant du principe qu’un chien qui n’obéit pas (tout problème de comportement pouvant alors être réduit à un problème d’obéissance) est dominant, la solution sera donc de le dominer pour en reprendre le contrôle.
• Progressivement, le terme dresseur est devenu politiquement incorrect et le terme d’éducateur est devenu prédominant. Par ailleurs, certains se sont plus intéressés aux problèmes de comportement qu’à l’éducation simple et se sont installés en tant que comportementaliste ou coach dans le but de mieux coacher les propriétaires pour mieux agir avec leur chien.
• L’utilisation de méthodes positives s’est de plus en plus répandue notamment par l’avènement du clicker training qui a fait rapidement des émules. Méthode quasiment magique dans certains cas, elle s’est opposée très rapidement aux méthodes coercitives dites « classiques ».
• Deux grands courants d’éducation canine se sont alors progressivement distingués : les éducateurs aux méthodes positives utilisant essentiellement la motivation et la récompense s’opposant et souvent de façon passionnelle aux éducateurs classiques prônant les méthodes contraignantes avec comme leitmotiv « la hiérarchie avant tout ». Depuis quelques années, cette bataille oppose de façon parfois caricaturale les « pro-hiérarchie » qui ne lisent le comportement d’un chien que via le prisme de la hiérarchie et les « anti-hiérarchie » qui estiment qu’il n’existe aucune hiérarchie entre l’homme et le chien.
Coté loisir…
Parallèlement, s’est développé un autre domaine dans le monde du comportement du chien : le sport canin, avec en premier lieu l’agility, mais aussi d’autres activités sportives comme le jumping, le canicross, le frisbee, le flyball ou encore l’obé-rythmée. Ces sports qui sont évidemment fondés sur la motivation et le plaisir (méthodes positives) concernent surtout les propriétaires de chiens actifs et sportifs comme le border collie, le Malinois, mais aussi le jack Russel. Chaque année, ces activités rassemblent de plus en plus d’adeptes qui deviennent de véritables passionnés.
En 20 ans, les approches comportementales ont donc considérablement évolué et se sont particulièrement diversifiées globalement pour le bénéfice de l’animal. Heureusement moins souvent considéré aujourd’hui comme un animal de compagnie qui doit être « maté », il est de plus en plus perçu comme un partenaire de vie qui ressent des émotions et a des besoins propres qu’il convient de respecter. Il devient même quand il pratique un sport canin avec son maître, un véritable médiateur voir un catalyseur social : il permet en effet aux personnes passionnées par ce type de loisir de se rencontrer et de se rassembler au sein de véritables petites communautés.